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« Threshold », une fable lugubre qui nous laisse à bout de souffle

Inspirez un bon coup, tout va bien se passer. Enfin, pas trop non plus : ici, au minuscule poste-frontière ferroviaire situé tout en haut du mont Blanc (ou du mont Fuji, ou du mont Denali, ou tout autre sommet le plus élevé du pays que vous aurez choisi en début de partie), l’oxygène est une denrée rare. En quelques minutes, Threshold, jeu du développeur français Julien Eveillé, disponible sur PC mardi 19 novembre, vous plonge dans une atmosphère à couper au couteau.
Mo, votre collègue que vous venez relever de son « quart », vous explique les ficelles : à ce poste-frontière, défile, sans arrêt, un train d’une longueur infinie – sans locomotive ni lanterne rouge. S’il venait à ralentir, à vous de donner un bon coup de sifflet, afin qu’il reprenne sa vitesse de croisière. C’est la condition sine qua non pour qu’un distributeur automatique – rappelez-vous, l’air est ici un luxe – vous dispense des canettes d’oxygène.
C’est tout : le travail paraît abrutissant, mais il a le mérite d’être simple. Les questions, après, c’est à vous de vous les poser. Pourquoi, dans ce monde déjà étouffant, votre souffle est-il votre principal outil de travail ? Pourquoi ce train semble-t-il sans fin ? Que transporte-t-il ? Qu’y a-t-il derrière cet immense mur qui marque la frontière ? Que diable faites-vous au sommet du mont Blanc, et qu’est-il advenu de la personne qui était là avant vous ? Au poste-frontière, les réponses sont aussi rares que l’air que l’on respire.
Le monde exigu de Threshold est brumeux et peu détaillé. L’esthétique évoque immédiatement celle la première PlayStation, ses textures pixélisées, ses gros volumes et sa géométrie instable. Ce que les graphismes bruts ne révèlent pas est complété par notre cerveau rendu paranoïaque par cette ambiance étouffante. Les couleurs, elles aussi, semblent avoir déserté cet univers : tout y est brun, jaune et marron. Les joueurs habitués à la palette d’un Papers, Please (2013), qui manient les mêmes thématiques laborieuses et patriotiques, ne seront pas dépaysés.
L’absurdité de la tâche, dont la répétition se rappelle à notre bon souvenir quand retentit une alarme stridente, évoque également celle dont avaient hérité les rescapés de Lost (2004 à 2010), tenus de presser régulièrement un bouton aux répercussions inconnues. Et il ne faut pas compter, pour éclairer votre lanterne sur votre hiérarchie : évasive, celle-ci ne répond à vos questions que par le biais d’une voix désincarnée et inhumaine, résonnant dans une salle vide qui n’est pas sans rappeler le conseil d’administration de Control (2019).
A mesure que l’on s’époumone et que notre personnage cherche à s’émanciper de ce monde où on étouffe les travailleurs pour mieux les récompenser en air, difficile de ne pas penser à la situation sanitaire du cœur des années Covid. La mention en introduction « basé sur une histoire authentique » et une précision de l’année « 2021 » entretient en tout cas le possible parallèle. Il n’est pas nécessaire de beaucoup progresser (le jeu dure de toute façon 1 h 30) pour comprendre que ce train qui semble aller de plus en plus vite, et qui devient de plus en plus incontrôlable, est une parabole limpide de l’injonction à la productivité économique. On pourra au moins reconnaître à l’univers morbide de Threshold une vertu par rapport au nôtre : celle de nous laisser, ne serait-ce qu’un peu, la main sur la vitesse du convoi.
On a aimé :
On a moins aimé :
C’est plutôt pour vous si :
Ce n’est plutôt pas pour vous si :
La note de Pixels :4 805,59 mètres
Corentin Benoit-Gonin
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